Une fois les Acadiens expulsés de leurs terres, les Britanniques mirent tout en œuvre pour attirer des colons de la Nouvelle-Angleterre. Des incitatifs furent offerts vers la fin de 1758 et de nouveau au début de 1759 afin d’attirer des colonies anglo-américaines des colons assoiffés de terres.
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1760 à 1810
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Les autorités britanniques qui avaient répondu à la menace des Acadiens en les déportant tentèrent de répondre à la menace posée par les Mi’kmaqs en signant des traités avec eux tout au long du XVIIIe siècle. En effet, les Mi’kmaqs avaient été les alliés des Français et des Acadiens. D’ailleurs pendant la Déportation, les Mi’kmaqs avaient aidé des Acadiens à prendre la fuite dans les bois et, dans bien des cas, les avaient abrités parmi eux. Pour la Couronne britannique, ces traités étaient synonymes de paix avec les Mi’kmaqs et signifiaient que la Couronne était désormais libre de coloniser la Nouvelle-Écosse avec des populations dont la loyauté leur était acquise.
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Une fois les Acadiens expulsés de leurs terres, les Britanniques mirent tout en œuvre pour attirer des colons de la Nouvelle-Angleterre. Des incitatifs furent offerts vers la fin de 1758 et de nouveau au début de 1759 afin d’attirer des colonies anglo-américaines des colons assoiffés de terres. Ces colons, connus collectivement sous le nom de Planters de la Nouvelle-Angleterre, arrivèrent en 1760 à Grand-Pré, dans une région qu’ils savaient réputée comme un district agricole des plus productifs.
Ce qu’ils découvrirent plutôt c’est qu’une grande partie du marais avait été submergée. |
Après l’expulsion des Acadiens de Grand-Pré en 1755, il n’y avait plus personne dans la région pour effectuer les réparations d’usage aux digues. Au mois de novembre de 1759, une grosse tempête s’abattit sur la région, au sommet du cycle Saros de 18,03 ans, à un moment où les marées étaient exceptionnellement hautes dans la baie de Fundy et le bassin des Mines. Une grosse marée de tempête déferla donc, rompant les digues de Grand-Pré à plusieurs endroits le long de la rivière Gaspereau. L’eau de mer inonda une large partie des sections est et ouest du marais. Certaines des digues ayant protégé d’anciennes parcelles du marais demeurèrent intactes et empêchèrent l’eau de submerger tout le marais.
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En 1759, les autorités britanniques subdivisèrent la Nouvelle-Écosse en comtés à des fins administratives. Le comté de Kings couvrait une large superficie le long de la baie de Fundy, comprenant le bassin des Mines. Celui-ci était divisé en trois cantons : Cornwallis, Horton et Falmouth. Grand-Pré était sous la compétence du canton de Horton. C’était le canton comptant la plus grande superficie de marais plus de 2000 hectares (5000 acres) et comprenant quelque 1200 hectares de terres défrichées sur les hauteurs. C’étaient là des conditions idéales pour un établissement agricole. |
Les autorités ont dressé des plans pour une ville dans le canton de Horton d’après leur modèle d’établissement colonial typique qui consistait en un plan en damier avec des espaces centraux perchés sur le point le plus élevé d’une localité donnée. Dans le cas de Grand-Pré renommé Horton à l’exception du vaste marais qui a conservé son nom original français, le plan de la ville a été conçu sur les hauteurs adjacentes à Horton Landing, le plus près de la rivière Gaspereau. Les colons se sont vu accorder quatre types de terres : une parcelle urbaine, une parcelle de terres défrichées sur les hauteurs, une parcelle de marais et un terrain boisé. On a enjoint les Planters de la Nouvelle-Angleterre de coloniser la ville et de s’installer dans les bâtiments existants ou d’en construire de nouveaux.
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Au début, les Planters de la Nouvelle-Angleterre ne furent pas d’aussi bons fermiers que leurs prédécesseurs. Ils ne savaient rien du drainage, de l’inutilité d’appliquer du fumier sur le marais, de l’avan- tage de labourer les terres à l’automne plutôt qu’au printemps, de la rotation des cultures, de tous ces aspects impliquant une connais- sance des conditions environnementales particulières de terres inter- tidales endiguées. Avec le temps toutefois et grâce à la transmission des connaissances et des techniques par les détenus acadiens, les nou- veaux venus qui s’établirent sur les terres hautes de Horton finirent eux aussi par devenir des maîtres dans l’érection des digues.
Ils poursuivirent la tradition acadienne qui consistait à vivre sur les hauteurs, mais conservèrent leurs principales terres agricoles dans le marais et réservèrent les terrains boisés pour les matériaux de construction. Les Planters de la Nouvelle-Angleterre ont étendu les aires de vie de plus en plus loin sur les hauteurs en bâtissant des églises et des salles communautaires et ils ont aussi colonisé l’île Long. En 1817, le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, lord Dalhousie, faisait remarquer qu’il n’y avait pas de ville de Horton, mais plutôt un établissement dispersé peuplé de maisons communes et proprettes peuplées par de petits fermiers qui ont un mode de vie des plus riches.
Avec les années, les établissements colonisés par les Planters de la Nouvelle-Angleterre à Horton et ailleurs ont pris racine. Au cours du XXe siècle, la majeure partie de la localité de Horton elle-même a repris son nom de l’époque des Acadiens : Grand-Pré. Quel que soit l’endroit où ils se sont établis, les Planters de la Nouvelle-Angleterre et leurs descendants ont exercé une influence sur la culture, la politique, le paysage et l’architecture de la Nouvelle-Écosse. Les bâtiments les mieux connus de la localité qui remontent à l’époque des Planters et qui sont toujours sur pied sont la maison Crane (1767), la maison Calkin (1768) et l’Église des covenantaires construite entre 1804 et 1811. L’Université Acadia située non loin à Wolfville a aussi un lien avec les Planters de la Nouvelle-Angleterre même si elle a été construite quelques générations après leur arrivée dans la province. Un premier ministre du Canada, sir Robert Borden (1854-1937), est sans doute le plus illustre des descendants des Planters de la Nouvelle-Angleterre. Il est né et a grandi dans le village de Grand-Pré.
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La première tâche qui incombait aux autorités britanniques fut de prendre possession du marais, d’en redistribuer des parcelles aux nouveaux fermiers et de s’assurer que ceux-ci acquéraient les compétences nécessaires pour l’entretien des digues. Comme les sections intérieures du marais créé par les Acadiens étaient encore protégées par des digues, les autorités britanniques eurent tôt fait de les distribuer aux fermiers individuels. En revanche, les parties inondées d’eau de mer en 1759 posaient problème. Les Planters de la Nouvelle-Angleterre n’avaient, avant leur arrivée à Grand-Pré, aucune expérience de la construction des digues ou des méthodes agricoles dans le marais. Les autorités britanniques se sont donc adressées aux Acadiens, dont certains étaient prisonniers au fort Edward, pour obtenir des conseils, de l’aide et de la main-d’œuvre.
Le modèle d’établissement britannique se révéla inefficace pour les fermiers de la Nouvelle-Angleterre. Les quatre types de terrains qu’ils s’étaient vu attribuer étaient bien souvent éparpillés un peu partout sur le paysage. Ceci a occasionné bien des ventes et des échanges. La plupart des fermiers préféraient vivre sur leurs meilleures terres et non sur une parcelle urbaine ou sur un promontoire. Les Planters de la Nouvelle-Angleterre eurent vite fait de comprendre l’efficacité du modèle d’établissement des Acadiens. Comme ils n’étaient pas expo- sés à la menace des Mi’kmaqs ou des Français — après la chute de la forteresse de Louisbourg en 1758 suivie de celle de Québec en 1759, — ils abandonnèrent le plan en damier de la ville à la faveur du modèle acadien en se dispersant linéairement le long du marais.
Il est notable que le modèle de propriété et de contrôle local de la digue adopté par les Acadiens à Grand-Pré soit justement le modèle qu’adopteraient les Planters de la Nouvelle-Angleterre en 1760 en prenant possession de ces terres. En fait, la première loi relative aux marais a été promulguée par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en 1760. La loi prévoyait qu’un groupe de propriétaires désigne une commission et un commissionnaire des égouts pour chaque marais asséché en Nouvelle-Écosse. Ceci reconnaissait que pour être effica- ces, l’érection et l’entretien des digues ne pouvaient être exécutés que collectivement et localement (voir Figure 2–36). Le commissionnaire serait chargé de décider de la nature des travaux nécessaires et de prévoir la main-d’œuvre et les coûts associés pour l’entretien du marais. Les propriétaires fonciers partageraient les dépenses de l’entretien du marais, désigneraient parmi eux les personnes respon- sables d’évaluer la taille et la valeur du marais, de surveiller celui-ci, de même que l’état des champs, des clôtures et des enceintes et s’acquit- teraient d’autres tâches semblables d’intérêt commun.
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