La guerre de Sept Ans, que l’on a souvent qualifiée de première guerre de dimension mondiale, opposa la Grande-Bretagne à la France et mit en cause les alliés des deux parties. Si la France concentra les hostilités en Europe, la Grande-Bretagne dépêcha 20 000 soldats en Amérique du Nord dans une tentative de faire tomber l’empire colonial de la France. La guerre qui s’ensuivit conduisit à la chute de la Nouvelle-France.
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Déportation et nouvel établissement
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Comme les événements qui se déroulaient en Europe avaient des répercussions sur les Acadiens et les établissements britanniques en Nouvelle-Écosse, la nouvelle administration britannique, c’est-à- dire le Conseil de la Nouvelle-Écosse, décida de revenir sur la question de la neutralité des Acadiens. Elle le fit avec plus de vigueur que dans le passé où son contrôle de la province était plus théorique que réel. Au cours des années à venir, une série de plusieurs incidents complexes allaient culminer pour donner lieu au Grand Dérangement ou à la Déportation des Acadiens. Ce terme renvoie à de nombreuses expul- sions de force qui allaient se produire sur une période de sept ans à compter de 1755.
Au début de l’été 1755, l’arpenteur général de la Nouvelle-Écosse, Charles Morris, prépara un plan détaillé pour le Conseil de la Nouvelle-Écosse indiquant comment il serait possible d’expulser les Acadiens de leurs terres en Nouvelle-Écosse et de les disperser ailleurs dans d’autres colonies britanniques.
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Ce plan ranima une école de pensée parmi les Britanniques remontant à quelques décennies plus tôt, vers les années 1720, et selon laquelle on estimait qu’il serait préférable d’expulser les Acadiens de la Nouvelle-Écosse et de les remplacer par des sujets protestants, britanniques ou étrangers qui seraient incontestablement loyaux à la Couronne britannique. Les Britanniques avaient aussi noté la valeur de l’extraordinaire fertilité des terres agricoles appartenant aux Acadiens et qui servaient de moteur économique pour la région. L’idée d’attirer des protestants étrangers fit surface de temps à autre pendant quelques décennies. Avant même que la Couronne britannique fasse venir des protestants d’origine allemande et suisse pour qu’ils s’établissent dans la nouvelle ville de Lunenburg au début des années 1750, un plan datant de 1748 indique où les protestants pourraient s’établir dans la région de Grand-Pré. Le plan de 1748 note justement l’endroit où les Planters de la Nouvelle-Angleterre établiraient leur ville (voir Figure 2–31).
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En juin 1755, une expédition mise sur pied par le gouverneur de la Nouvelle-Écosse Charles Lawrence et le gouverneur William Shirley du Massachusetts captura deux forts français de la région de Chignectou, soit le fort Beauséjour et le fort Gaspareaux. Lorsque la nouvelle parvint à Halifax que 200 à 300 Acadiens, sous la pression du commandant français du fort, avaient participé à la défense du fort Beauséjour, les autorités de Halifax interprétèrent cela comme un signe de la complicité des Acadiens avec les Français. Le Conseil de la Nouvelle-Écosse décida alors que tous les Acadiens de la région de Chignectou seraient rassemblés et déportés, et ce, qu’un membre de leur famille ait été ou non actif dans la défense de la forteresse française. Un mois plus tard, le 28 juillet 1755, après avoir rencontré à deux reprises les députés des communautés acadiennes de la Nouvelle-Écosse continentale, le Conseil de la province résolut d’expulser tous les Acadiens — hommes, femmes et enfants — de toute la Nouvelle-Écosse. La Déportation débuta donc à Grand-Pré et dans la localité voisine de Pigiguit au début du mois de septembre.
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Même s’il est entendu que la Déportation des Acadiens avait pour but de disperser un groupe déloyal à la Couronne britannique, on ne peut nier le fait que l’étendue et la fertilité des terres de Grand-Pré et d’ailleurs avaient une très grande importance dans le contexte des plans d’établissement britanniques. Ainsi, le gouverneur de la Nouvelle-Écosse Charles Lawrence a exprimé l’opinion suivante dans une lettre écrite le 18 octobre 1755 aux lords du commerce de Londres, en Angleterre.
[...] dès que les Français seront partis, je ferai tout mon possible
pour encourager les Gens du Continent à coloniser ces terres [...]
et les circonstances additionnelles des habitants qui
évacuent le Pays permettront, je m’en félicite,
d’accélérer grandement cet événement puisque cela
nous fournit une grande Quantité de bonnes terres
prêtes à être cultivées immédiatement. [Traduction]
pour encourager les Gens du Continent à coloniser ces terres [...]
et les circonstances additionnelles des habitants qui
évacuent le Pays permettront, je m’en félicite,
d’accélérer grandement cet événement puisque cela
nous fournit une grande Quantité de bonnes terres
prêtes à être cultivées immédiatement. [Traduction]
Au terme de ces sept années, plus des trois quarts des quelque 14 000 hommes, femmes et enfants acadiens furent déportés vers d’autres régions de l’Amérique du Nord ou de l’Europe. Le reste prit la fuite ou se cacha.
Les événements à Grand-Pré furent parmi les premiers et aussi les plus importants de la Déportation. Qui plus est, ils ont été consignés par certains des principaux acteurs britanniques. Leurs dossiers fournissent à l’histoire un compte rendu détaillé des événements et de leur impact sur les Acadiens et mettent en place le contexte servant à d’éventuelles représentations de la culture acadienne. Ils fournissent aussi aux générations futures d’Acadiens la description d’un événement qui a eu pour effet de transformer leur histoire culturelle. Les renseignements qui suivent sont extraits de deux des sources les plus importantes, soit les journaux de campagne du lieutenant-colonel John Winslow et de l’un de ses officiers subalternes, Jeremiah Bancroft.
Les événements à Grand-Pré furent parmi les premiers et aussi les plus importants de la Déportation. Qui plus est, ils ont été consignés par certains des principaux acteurs britanniques. Leurs dossiers fournissent à l’histoire un compte rendu détaillé des événements et de leur impact sur les Acadiens et mettent en place le contexte servant à d’éventuelles représentations de la culture acadienne. Ils fournissent aussi aux générations futures d’Acadiens la description d’un événement qui a eu pour effet de transformer leur histoire culturelle. Les renseignements qui suivent sont extraits de deux des sources les plus importantes, soit les journaux de campagne du lieutenant-colonel John Winslow et de l’un de ses officiers subalternes, Jeremiah Bancroft.
Entre la fin août et le début septembre 1755, les Acadiens de Grand-Pré et des villages environnants s’affairaient aux récoltes dans le marais et sur les hauteurs. Les Acadiens étaient loin de se douter que cette récolte serait leur dernière à Grand-Pré. Le 4 septembre 1755, le lieutenant-colonel Winslow émit l’ordre que tous les hommes et les garçons âgés de 10 ans et plus de la région de Grand-Pré devaient se présenter à l’église le lendemain à trois heures de l’après-midi pour une annonce importante. Le capitaine Alexander Murray avait utilisé le même prétexte pour inviter tous les mâles acadiens de la région de Pigiguit à se rendre au fort Edward le même jour à la même heure. En fait, les Britanniques avaient usé d’un stratagème semblable le 11 août dans la région de Chignectou pour attirer et emprisonner quelque 400 hommes acadiens de la région au fort Beauséjour, — renommé fort Cumberland après sa capture — ainsi qu’au fort Lawrence. John Winslow et ses hommes en avaient été témoins juste avant leur départ pour Grand-Pré.
Jeremiah Bancroft, un des officiers subalternes de Winslow, écrit dans son journal que l’expression sur les visages des Acadiens en entendant l’annonce était un mélange de honte et de confusion, ainsi que de colère. Il ajoute que la contenance des Acadiens était si altérée qu’elle en était indescriptible.
[les habitants partirent] à contrecœur, les femmes en grande détresse emportant leurs enfants dans les bras, d'autres portant leurs parents décrépits dans leurs charrettes et tous leurs biens leurs enfants dans les bras, d'autres portant leurs parents décrépits dans leurs charrettes et tous leurs biens se déplaçant dans une grande confusion et apparaissant comme une scène de malheur et de détresse [ils] s'en allèrent en priant, en chantant et en pleurant, rejoints par les femmes et les enfants tout au long du chemin... avec de grandes lamentations, à genoux, en priant.
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Le lieutenant-colonel John Winslow du Massachusetts était l’officier responsable de rassembler et de déporter les Acadiens de Grand-Pré. Il est arrivé au village le 19 août 1755 avec environ 300 soldats provinciaux de la Nouvelle-Angleterre. Il n’a rien laissé entendre de ce qui se passerait, mais a plutôt donné l’impression d’une mission de routine. Sa première tâche a consisté à établir une base d’opérations sécuritaire étant donné que ses troupes étaient largement dépassées par les quelque 2100 hommes, femmes et enfants acadiens qui habi- taient dans la région du bassin des Mines. Winslow a choisi d’établir son quartier général dans le secteur entourant l’église paroissiale de Saint-Charles-des-Mines à Grand-Pré. Ses soldats érigèrent une palis- sade autour du presbytère, de l’église et du cimetière, et ses soldats montèrent leurs tentes dans cette enceinte (voir Figure 2–32). Pour ne pas vexer les Acadiens inutilement, Winslow demanda aux représen- tants de la communauté de retirer les objets sacrés de l’église avant que celle-ci serve de base militaire. Au début du mois d’août 1755, les prêtres de la paroisse de Saint-Charles-des-Mines ou de Grand-Pré et des paroisses avoisinantes avaient déjà été arrêtés et emmenés à Halifax en attendant d’être déportés en Europe. Le 5 septembre, 418 Acadiens de sexe masculin affluèrent donc à l’église de Grand-Pré — désormais entourée d’une palissade et contrô- lée par des hommes armés — pour entendre l’annonce. Une fois les hommes rassemblés à l’intérieur de l’église, Winslow demanda à des interprètes qui parlaient le français d’annoncer aux habitants rassem- blés qu’ils allaient — ainsi que les membres de leur famille — être déportés. Il indiqua aux Acadiens ce qui suit :
vos terres et vos logements, votre bétail et votre cheptel de tout genre, sont confisqués par la Couronne avec tous vos autres effets, sauf votre argent et vos biens meubles, et que vous-mêmes vous serez déportés hors de cette province.
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L’expulsion d’environ 2100 personnes qui habitaient à Grand-Pré et dans les villages avoisinants ne s’est pas déroulée sans heurts ni aussi vite que prévu. Winslow a dû faire face à une pénurie de navires et à un manque de provisions. Les hommes et les garçons durent passer plus d’un mois emprisonnés soit dans l’église Saint-Charles- des-Mines soit à bord des bateaux ancrés dans le bassin des Mines avant que le reste de la population soit aussi entassé à bord des navires. Winslow décrit en ces termes la scène du premier contingent de jeunes hommes marchant de l’église le long du chemin bordant le marais jusqu’au rivage de ce qui est aujourd’hui Horton Landing (voir Figure 2–33) :
Le 8 octobre 1755 commença l’embarquement des hommes, femmes et enfants dans les bateaux qui attendaient. Le départ des petits bateaux se fit de Horton Landing. Les gens de Grand-Pré et de Gaspereau furent les premiers à partir. Winslow consigna dans son journal que:
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Les Acadiens vivaient ensemble en de grandes familles élargies. C’était d’ailleurs là la base de leurs établissements et un élément clé de leur succès dans l’érection des digues ainsi que la source de leur sentiment d’indépendance. Bien que Winslow ait ordonné que les familles ne devaient pas être séparées, bien souvent cela s’avéra impossible dans la confusion et en raison de la petite taille des bateaux. Par conséquent des amis, des parents et des voisins furent séparés pour ne plus jamais se revoir.
Du 19 au 21 octobre 1755, les soldats forcèrent une partie des familles des communautés environnantes de la Rivière-aux-Canards à se réunir à Grand-Pré en vue de l’embarquement éventuel à bord des bateaux. Ce groupe d’environ 600 habitants était composé de 98 familles. En attendant l’arrivée des transports, ils furent hébergés dans les maisons acadiennes récemment évacuées non loin du camp de Winslow ainsi que sur les hauteurs surplombant le marais. Ces familles furent déportées dans les colonies anglo-américaines, juste avant Noël 1755. Cette fois le point de départ ne fut pas Horton Landing mais un autre endroit situé non loin.
Après avoir répondu à la menace acadienne en déportant la plupart des Acadiens, les autorités britanniques ont cherché à répondre à la menace mi'kmaq en signant des traités avec eux tout au long du XVIIIe siècle. En effet, les Mi'kmaq ont été les alliés des Français et des Acadiens. Pendant la Déportation, les Mi'kmaq ont aidé certains Acadiens à s'enfuir dans la forêt et, dans de nombreux cas, les ont hébergés comme s'ils étaient les leurs. Pour la Couronne britannique, ces traités signifient la paix avec les Mi'kmaq et la liberté de peupler la Nouvelle-Écosse avec des populations dont la loyauté est incontestable.
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Finalement, sur un peu plus de 14 000 hommes, femmes et enfants acadiens, les trois quarts sont déportés vers d'autres régions d'Amérique du Nord ou vers l'Europe. Les autres se cachent ou s'enfuient.
La déportation des Acadiens a marqué le paysage. En 1755, les troupes de la Nouvelle-Angleterre et de la Grande-Bretagne ont brûlé de nombreuses maisons, granges, églises et autres structures acadiennes alors qu'elles dépeuplaient les régions. Elles voulaient s'assurer qu'il ne restait aucun abri pour les personnes ayant échappé à la déportation. Dans l'ensemble de la région du bassin des Mines, les soldats mettent le feu à environ 700 maisons, granges et autres bâtiments. Le colonel John Winslow est à cheval pendant que les soldats britanniques forcent les Acadiens à se rendre sur le rivage du bassin de Minas, connu sous le nom de Horton's Landing, d'où ils sont déportés sur les navires qui arrivent.
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Odyssée acadienne
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Dans les décennies à venir, des milliers d’Acadiens accostèrent dans des ports un peu partout dans le monde pour en repartir aussitôt en quête d’un endroit d’où ils pourraient revenir à leur Acadie natale. C’est durant cette Odyssée qu’est née la diaspora acadienne.
Entre 1755 et 1762, les autorités britanniques organisèrent le rassemblement de la population acadienne à des endroits clés pour les embarquer à bord de navires et les expédier en convois vers diverses destinations (voir Figure 2–34). Dans les derniers mois de l’année 1755 à elle seule, 6000 Acadiens ou près de la moitié de la population entière avaient été déportés de la région du bassin des Mines, y compris de Grand-Pré, de la région de Pigiguit, de Chignectou et de Port-Royal.
Cette année-là, 2100 Acadiens avaient été expulsés de la région du bassin des Mines. Ceci comprend l’expulsion, à la fin d’octobre 1755, de plus de 1500 enfants, femmes et hommes acadiens — les enfants composant la majeure partie du contingent — de Grand-Pré et des villages voisins qui avaient été contraints à monter à bord des bateaux. Le convoi partit du bassin des Mines à destination de la Pennsylvanie, de la Virginie, du Maryland, du Connecticut et du Massachusetts. En même temps, les bateaux transportant 1119 déportés acadiens de la région de Pigiguit mirent aussi le cap vers le sud en direction des colonies anglo-américaines. Les bateaux formèrent un convoi auquel se joignirent les bateaux transportant les 1100 déportés de la région de Chignectou qui eux devaient être envoyés vers les colonies plus au sud des Carolines et de la Géorgie. En décembre, quelque 1664 hommes, femmes et enfants acadiens de la région de Port-Royal ont aussi été déportés d’Annapolis Royal vers les colonies anglo-américaines.
Dans les années qui ont suivi, des milliers d’autres Acadiens ont été déportés surtout en France, après la chute de Louisbourg en 1758. Quelque 4000 réfugiés acadiens de l’île Royale (Cap-Breton) et de l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard ) ont été déportés directement en France à l’automne de 1758, tout comme plus de 200 habitants de la région du cap Sable qui connurent un sort similaire en 1758 et au début de 1759. À l’été de 1762, un autre groupe de 915 hommes, femmes et enfants acadiens furent déportés de Halifax à Boston. Les autorités de la ville refusèrent de les laisser débarquer et ils furent contraints de revenir en Nouvelle-Écosse où ils furent gardés comme prisonniers de guerre. Les déplacements du peuple acadien sont illustrés à la Figure 2–34.
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Ces réfugiés furent envoyés à divers endroits selon le vœu du gouverneur Charles Lawrence qui voulait répartir les Acadiens entre les colonies pour qu’ils ne puissent pas facilement se retrouver. Certains furent expédiés aux colonies de la Nouvelle-Angleterre dont les autorités devaient leur assurer refuge et nourriture. Nombre des colonies ne voulaient pas assumer ce fardeau et ne permirent pas aux bateaux d’accoster, les forçant à poursuivre leur route vers un autre port. Dans bien des cas, les familles furent séparées, les enfants furent assimilés à des familles protestantes et les adultes furent sujets à l’emprisonnement ou à la servitude.
Dans certaines colonies, les gouverneurs qui vou- laient se débarrasser des réfugiés émirent des sauf-conduits pour qu’ils puissent voyager librement entre les frontières. Ils espéraient ainsi que les Acadiens retourneraient en Nouvelle-Écosse. Au printemps 1756,les Acadiens déportés de Virginie furent renvoyés comme prisonniers de guerre en Grande-Bretagne où ils furent éparpillés dans les villes côtières du Sud de l’Angleterre. |
Leur établissement en France offrit cependant peu de consolation, car il y avait là trop peu de terres pour qu’ils puissent s’y établir. Nombre d’entre eux finirent leur vie dans l’indigence la plus totale.
Après la chute de la Nouvelle-France en 1760, les autorités de la Nouvelle-Écosse ne tenaient pas à ravoir les Acadiens sur leur territoire, même si les autorités britanniques ne considéraient plus ces « Français » comme une menace. Or, des autorités dans d’autres régions du Canada avaient besoin de colons et ils étaient ouverts à l’idée d’attirer les Acadiens. Le gouverneur de Québec, James Murray, fut l’un de ceux qui envisagèrent cette idée. Dans une lettre qu’il écrivit en 1761 au lieutenant gouverneur de la Nouvelle-Écosse, Jonathan Belcher, Murray dit qu’il ne serait pas prudent pour Belcher de laisser les Acadiens retourner sur les terres d’où ils avaient été expulsés. Il disait que cela rappellerait [aux Acadiens] et à leurs générations successives les misères endurées par la présente génération et que cela pourrait les amener à mépriser à jamais le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, peu importe par ailleurs qu’il soit juste et équitable. Malgré cette mise en garde, le besoin de colons de la Nouvelle-Écosse prévalut et, en 1764, les autorités britanniques autorisèrent les Acadiens à se réétablir en Nouvelle-Écosse, à certaines conditions. Ils ne pouvaient s’établir sur leurs anciennes terres et ils ne pouvaient se concentrer en grands nombres à un même endroit. Cette dernière condition visait évidemment à les empêcher de reformer des communautés. Environ 1600 Acadiens, ou un peu plus de 10 pour cent de la population acadienne d’avant la Déportation, ont décidé de s’installer en Nouvelle-Écosse de même que dans les deux provinces Maritimes voisines.
Les régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse actuelle se trouvent maintenant à des centaines de kilomètres des anciennes collectivités et sont surtout concentrées dans le Sud-Ouest de la province et au Cap-Breton. La plupart des personnes ayant survécu à la Déportation ont préféré s’installer au Québec, en France ou en territoire français comme à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Domingue (ou Haïti aujourd’hui) et en Guyane. En 1785, quelque 1584 Acadiens sont partis de France pour aller s’établir en Louisiane qui était alors une colonie espagnole. Ils sont parmi les ancêtres des Cajuns d’aujourd’hui.
Les Acadiens qui avaient été déportés en France provenaient directement des colonies françaises conquises de l’île Saint-Jean et de l’île Royale en 1758 et en 1763. Ils étaient venus de la Virginie en passant par la Grande-Bretagne où ils avaient passé sept ans en prison. Vers le milieu du XVIIIe siècle, environ 3000 déportés affluèrent en France. Ils étaient concentrés dans la région du Poitou et dans la région de Belle-Île-en-Mer en Bretagne. La plupart des déportés ne réussirent pas à s’établir en France, et les autorités françaises les considéraient d’ailleurs comme un fardeau. En 1785, les deux tiers d’entre eux mirent le cap sur la Louisiane. Vingt ans plus tôt, en 1763, d’autres avaient échoué dans l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon, près de la côte de Terre-Neuve dans l’océan Atlantique.
Ils furent expulsés par les Français en 1767 et on leur permit de revenir en 1768. En 1778, les Britanniques prirent le contrôle de l’archipel et déportèrent toute la population en France. Les îles changèrent de mains plusieurs fois encore avant que les Français ne les reprennent en 1816. Les Acadiens purent alors y retourner. En France comme dans les territoires français d’outremer, les quelques familles acadiennes qui s’y établirent finirent par s’adapter à la société dominante, mais toujours elles conservèrent vivant le sens de leurs origines et de leur identité grâce à la tradition orale et à l’expression artistique.
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Des Acadiens s’étaient établis en Louisiane dès 1764. Des familles étaient venues de la Nouvelle-Écosse en passant par Saint-Domingue en 1764-1765, tandis que la plupart des autres familles étaient venues directement du Maryland et des autres colonies anglo-américaines en passant par les Antilles. Un grand groupe venu de France se joignit à eux en 1785 puisqu’il n’avait pas pu se réintégrer à la société française. Les Acadiens étaient concentrés principalement dans le Sud de la Louisiane où ils exerçaient une grande influence sur la vie politique et économique. Jusqu’à la Guerre civile américaine en 1861, la Louisiane était un État bilingue où le français était couramment parlé dans l’administration publique, les tribunaux et les entreprises. Peu à peu la place du français s’éroda puisque la société dominante de la Louisiane en vint à voir d’un mauvais œil l’expression de la culture cajun ou acadienne. Au début du XXe siècle, une loi fut passée afin d’intégrer les Cajuns dans la société louisianaise par l’entremise du système scolaire. Tout au long du XIXe siècle, comme cela avait d’ailleurs été le cas en Acadie, les Cajuns conservèrent leurs traditions grâce à leur isolation relative. Ils suivirent le cheminement des Acadiens du Canada et adoptèrent certains symboles, dont Notre-Dame-de-l’Assomption comme leur sainte patronne. La musique, les chansons et d’autres formes d’expression artistique gardèrent vivantes leur histoire et leur identité par le biais de la tradition orale. Les Cajuns durent cependant attendre jusque vers le milieu du XXe siècle pour raviver la relation qui s’était rompue avec leur terre d’origine en Acadie. Grand-Pré allait être l’endroit qui cristalliserait ce retour.
Les Acadiens qui avaient abouti en Guyane et dans les Antilles y avaient été envoyés par les autorités françaises dans deux buts : alléger le fardeau sur l’administration en France et peupler les colonies que la France avait gardées après la signature du traité de Paris en 1763. De la France, les Acadiens furent envoyés coloniser les îles Malouines, la Guyane et Haïti. Bien que certaines familles soient restées là où elles avaient échoué, avec le temps la plupart se rendirent en Louisiane. Il y a peu de traces aujourd’hui en Guyane ou dans les Antilles d’une identité acadienne à un niveau communautaire.
À partir de la fin des années 1760, les Acadiens s’installèrent dans tous les coins de la province de Québec. Se concentrant pour la plupart dans la vallée du Saint-Laurent, ils essaimèrent par la suite dans d’autres régions à prédominance agricole. C’est au Québec qu’il y avait, à la fin du XVIIIe siècle, le plus fort contingent d’Acadiens. En raison des similarités sur le plan de la religion, de la langue et du statut social avec les Canadiens (les Canadiens français, ou les Québécois actuels), les Acadiens ont pu facilement s’intégrer à la société dominante. Les Acadiens qui vivaient dans la province de Québec ont embrassé la lutte pour les droits des francophones qui a dominé le discours politico-social au Québec tout au long des XIXe et XXe siècles. Malgré leur intégration toutefois, ces communautés ont conservé la conscience de leur identité et elles ont gardé le contact avec les communautés acadiennes de l’Est du Canada. Vers la fin du XIXe siècle, des délégués de ces communautés au Québec ont assisté aux conventions nationales des Acadiens qui ont eu lieu au Nouveau-Brunswick. C’est encore au Québec qu’on trouve le plus important contingent de gens de descendance acadienne.