Un marais productif et la naissance d’un symbole 1806 à 1907
Expansion du marais et productivité agricole à Grand-Pré
La première expansion du marais a eu lieu en 1806 sur le flanc ouest, lors de la construction de la « nouvelle digue » ou de la « digue Wickwire ».
Celle-ci a été construite à l’ouest de la digue nord-sud érigée par les Acadiens, mais dans un secteur qui n’avait jamais été endigué par les Acadiens en partie à cause du problème que posait la pression des marées. Cette digue encerclait plus d’une centaine d’hectares de nou- velles terres agricoles et sut résister aux assauts des tempêtes et des marées venant de l’ouest. Celle-ci ne se rompit qu’en 1869, lorsque la tempête Saxby Gale fouetta les côtes, entraînant sur la région une combinaison de marées hautes et de vents forts. Étant donné que les digues acadiennes avaient été laissées en place après l’érection de la digue Wickwire, le marais principal de Grand-Pré a été relativement peu touché par les eaux de marée. La digue Wickwire a été rebâtie en 1871. L’entretien et l’expansion du marais permirent aux fermiers de conserver une très grande productivité qui faisait l’admiration des visiteurs comme des spécialistes. Le plus éminent spécialiste en agri- culture de la Nouvelle-Écosse du début du XIXe siècle, John Young, a fait une évaluation du marais de Grand-Pré en 1822. À ce moment-là le marais avait été entre les mains des Planters depuis une soixantaine d’années.
La première expansion du marais a eu lieu en 1806 sur le flanc ouest, lors de la construction de la « nouvelle digue » ou de la « digue Wickwire ».
Celle-ci a été construite à l’ouest de la digue nord-sud érigée par les Acadiens, mais dans un secteur qui n’avait jamais été endigué par les Acadiens en partie à cause du problème que posait la pression des marées. Cette digue encerclait plus d’une centaine d’hectares de nou- velles terres agricoles et sut résister aux assauts des tempêtes et des marées venant de l’ouest. Celle-ci ne se rompit qu’en 1869, lorsque la tempête Saxby Gale fouetta les côtes, entraînant sur la région une combinaison de marées hautes et de vents forts. Étant donné que les digues acadiennes avaient été laissées en place après l’érection de la digue Wickwire, le marais principal de Grand-Pré a été relativement peu touché par les eaux de marée. La digue Wickwire a été rebâtie en 1871. L’entretien et l’expansion du marais permirent aux fermiers de conserver une très grande productivité qui faisait l’admiration des visiteurs comme des spécialistes. Le plus éminent spécialiste en agri- culture de la Nouvelle-Écosse du début du XIXe siècle, John Young, a fait une évaluation du marais de Grand-Pré en 1822. À ce moment-là le marais avait été entre les mains des Planters depuis une soixantaine d’années.
La côte de la baie de Fundy est sans contredit le jardin de l’Acadie et nous trouvons par conséquent que les Français s’y sont enracinés à leur arrivée au pays. Ils ont construit ces digues et ces aboiteaux pour repousser l’océan et s’ap- proprier les riches marais de Cornwallis et de Horton qui — avant que nous nous en soyons emparés — avaient été cultivés pendant tout un siècle sans aucun épandage d’en- grais. [...] Des parcelles des grandes prairies [Grand-Pré] de Horton ont croulé sous le blé et l’herbe ou le foin en alter- nance pendant plus d’un siècle, et jamais ces terres n’ont été engraissées d’aucune façon. [Traduction]

(Figure 2–36) La réparation des digues à Grand-Pré (env. 1900). La tradition voulant que l’on répare et entretienne les digues collectivement est née avec les Acadiens et s’est poursuivie avec les Planters de la Nouvelle-Angleterre, puis avec les générations de fermiers qui leur ont succédé.
Un autre expert, D.L. Boardman, qui écrivait au début des années 1880, faisait remarquer que:
Le marais de Grand-Pré est l’un des plus anciens du comté de Kings et aussi l’un des meilleurs de la province. Les anciens Français avaient des digues d’érigées ici lors de la première occupation du pays, et on voit maintenant par- tout sur la grand pré les vestiges des vieilles digues parmi celles qui font maintenant le travail de retenir les eaux de marée. Celles-ci ont été aplanies et abattues par endroit, mais il n’est pas difficile d’en suivre la trace. [Traduction]
La biologiste américaine et écrivaine Margaret W. Morley (1858-1923) a été incontestablement impressionnée par l’ouvrage que les Acadiens d’abord avaient réalisé et que les Planters de la Nouvelle-Angleterre ont poursuivi. Elle écrivait en 1905 : « nous ne pouvons regarder les vastes prés qui s’étendent sous nos yeux à Grand-Pré sans nous sou- venir des mains qui les premières ont su retenir la mer. » [Traduction]
La naissance d’un symbole
La déportation des Acadiens a laissé sa trace sur le paysage. En 1755, les troupes britanniques et anglo-américaines ont brûlé la plupart sinon toutes les maisons, granges, églises ou autres structures des Acadiens à mesure qu’ils dépeuplaient les régions. Ils voulaient ainsi s’assurer qu’il ne reste plus rien debout si quelqu’un ayant échappé à la déportation massive avait voulu revenir. Dans l’ensemble de la région des Mines, les soldats ont incendié environ 700 maisons, granges et autres bâtiments.
Ces actes de destruction ont donné le ton à l’aspect mythique et symbolique de la Déportation. En fait le village de Grand-Pré a été épargné du moins au départ. Winslow y avait établi son quartier géné- ral et plus tard c’est là qu’environ 600 Acadiens emmenés des collec- tivités avoisinantes ont été détenus dans les maisons pendant plus d’un mois avant l’exil. Il est possible que certains des bâtiments de Grand-Pré aient été incendiés après cette date. Pourtant nous savons d’autres sources produites en 1760 que certains — et probablement un bon nombre d’entre eux — étaient encore sur pied. Selon l’arpenteur général de la Nouvelle-Écosse, Charles Morris, environ une centaine de maisons étaient encore sur pied à Grand-Pré quand sont arrivés les Planters de la Nouvelle-Angleterre au printemps de 1760. Un de ces bâtiments était apparemment l’église de Saint-Charles-des- Mines. Néanmoins, quelle qu’ait été l’ampleur de la destruction, la rupture est symboliquement exprimée dans la tradition orale et la mémoire collective des Acadiens qui ont relaté la destruction par le feu et la désolation des terres après l’expulsion de la population.
Au début du XIXe siècle, certains individus et organisations ont commencé à commémorer la présence révolue des Acadiens à Grand- Pré. Deux grandes forces étaient à l’œuvre. L’une avait trait aux tra- vaux artistiques, historiques et littéraires reliant Grand-Pré plus que tout autre village acadien de l’époque d’avant 1755 à la Déportation (voir la bibliographie pour une liste des ouvrages littéraires). L’autre influence était la Renaissance Acadienne qui s’est manifestée dans la deuxième moitié du XIXe siècle dans toutes les provinces Maritimes du Canada. Ensemble ces deux forces se sont combinées pour super- poser le paysage agricole et le paysage symbolique.
La déportation des Acadiens a laissé sa trace sur le paysage. En 1755, les troupes britanniques et anglo-américaines ont brûlé la plupart sinon toutes les maisons, granges, églises ou autres structures des Acadiens à mesure qu’ils dépeuplaient les régions. Ils voulaient ainsi s’assurer qu’il ne reste plus rien debout si quelqu’un ayant échappé à la déportation massive avait voulu revenir. Dans l’ensemble de la région des Mines, les soldats ont incendié environ 700 maisons, granges et autres bâtiments.
Ces actes de destruction ont donné le ton à l’aspect mythique et symbolique de la Déportation. En fait le village de Grand-Pré a été épargné du moins au départ. Winslow y avait établi son quartier géné- ral et plus tard c’est là qu’environ 600 Acadiens emmenés des collec- tivités avoisinantes ont été détenus dans les maisons pendant plus d’un mois avant l’exil. Il est possible que certains des bâtiments de Grand-Pré aient été incendiés après cette date. Pourtant nous savons d’autres sources produites en 1760 que certains — et probablement un bon nombre d’entre eux — étaient encore sur pied. Selon l’arpenteur général de la Nouvelle-Écosse, Charles Morris, environ une centaine de maisons étaient encore sur pied à Grand-Pré quand sont arrivés les Planters de la Nouvelle-Angleterre au printemps de 1760. Un de ces bâtiments était apparemment l’église de Saint-Charles-des- Mines. Néanmoins, quelle qu’ait été l’ampleur de la destruction, la rupture est symboliquement exprimée dans la tradition orale et la mémoire collective des Acadiens qui ont relaté la destruction par le feu et la désolation des terres après l’expulsion de la population.
Au début du XIXe siècle, certains individus et organisations ont commencé à commémorer la présence révolue des Acadiens à Grand- Pré. Deux grandes forces étaient à l’œuvre. L’une avait trait aux tra- vaux artistiques, historiques et littéraires reliant Grand-Pré plus que tout autre village acadien de l’époque d’avant 1755 à la Déportation (voir la bibliographie pour une liste des ouvrages littéraires). L’autre influence était la Renaissance Acadienne qui s’est manifestée dans la deuxième moitié du XIXe siècle dans toutes les provinces Maritimes du Canada. Ensemble ces deux forces se sont combinées pour super- poser le paysage agricole et le paysage symbolique.
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Evangeline, A Tale of Acadie
La plus influente des nombreuses œuvres littéraires liées à Grand-Pré est sans contredit le poème épique de Henry Wadsworth Longfellow, Evangeline, A Tale of Acadie, publié en 1847 (voir Figure 2–37). Le poème relate l’histoire d’amour de deux personnages fictifs, Évangéline et Gabriel. Le poème se fonde toutefois sur un récit qu’a entendu Longfellow au sujet d’un jeune couple ayant été séparé au moment de la Déportation. Le poète américain n’a pas été le premier à écrire une œuvre littéraire sur ce bouleversement, mais ses personnages et la trame narrative sont devenus les plus connus et ils ont joué un rôle déter- minant pour faire de Grand-Pré un véritable symbole. La description de Longfellow s’inspire librement du récit qu’en a fait l’historien Thomas Chandler Haliburton dans son essai intitulé An Historical and Statistical Account of Nova Scotia (1829). L’historien décrit dans ce livre les événements survenus à Grand-Pré en 1755 en présentant du matériel provenant d’acteurs de l’époque, notamment le journal de John Winslow. Grand-Pré, un lieu réel doté d’une vraie histoire, est devenu le théâtre d’une œuvre de fiction qui a été au cours du prochain siècle l’interprétation la mieux connue de la Déportation des Acadiens. Durant le siècle qui suivit, le poème Evangeline de Longfellow a été édité au moins 270 fois et a été traduit en 130 langues. Les premiè- res adaptations en langue étrangère ont été faites en allemand et en polonais en 1851. Des traductions en français et en danois suivirent en 1853, en suédois en 1854, en néerlandais et en italien en 1856 et ainsi de suite pour faire le tour du monde. Des éditions illustrées commen- cèrent à paraître en 1850, et, pour les 150 années suivantes, des dizai- nes d’artistes ont offert leur interprétation — parfois fantaisiste — de Grand-Pré et d’ailleurs. Lorsque le cinéma fit son apparition, l’histoire d’Évangéline et de la Déportation fut portée à l’écran. Il y eut d’abord de courts métrages en 1908 et en 1911 et puis en 1913, il y eut le pre- mier long métrage jamais produit au Canada (une production d’une durée de plus d’une heure) qui s’intitulait Evangeline. Des versions américaines du film relatant l’histoire d’Évangéline furent diffusées en 1919 et en 1929. Même si l’engouement pour Evangeline débuta parmi des non- Acadiens, d’abord les Américains puis les Britanniques, les Acadiens et d’autres francophones eurent tôt fait d’embrasser le phénomène (voir Figure 2–38). Bien souvent, ils avaient connu l’histoire par une adaptation du poème en français publiée par Pamphile Lemay en 1865 et révisée en 1870. L’adaptation de M. Lemay diffère considéra- blement du poème de Longfellow, mais il a conservé les personnages principaux, le cadre de Grand-Pré et la trame narrative. |
Longfellow a contribué à sensibiliser le monde entier à l’histoire des Acadiens et à Grand-Pré. De nombreux autres allaient poursuivre l’œuvre de transformer physiquement le paysage pour que celui-ci reflète symboliquement l’attachement des Acadiens à leur terre ancestrale, commémore la Déportation et illustre les symboles de leurs valeurs.
En 1869, peu après l’inauguration de la gare de Grand-Pré, la Windsor and Annapolis Railway Company suspendit une affiche où on pouvait lire « bienvenue à la terre ancestrale d’Évangéline et Gabriel ». L’année suivante un premier voyage organisé en train vit arriver des touristes américains de Boston. Les Acadiens ne participè- rent pas à ces initiatives.
En 1895, parut dans le principal quotidien acadien L’Évangéline un article de la plume de l’historien Henri L. d’Entremont. Ce dernier disait que les Acadiens devaient honorer la mémoire de leurs ancê- tres au nouveau site touristique de Grand-Pré. Cet article de même que des discours politiques et d’autres cris de ralliement ont peu à peu fait de Grand-Pré un endroit d’importance dans la conscience des Acadiens. Un peu plus d’une décennie plus tard, les Acadiens firent les premiers pas pour commémorer physiquement Grand-Pré dans la foulée de la renaissance de leur culture et de leur identité.
En 1869, peu après l’inauguration de la gare de Grand-Pré, la Windsor and Annapolis Railway Company suspendit une affiche où on pouvait lire « bienvenue à la terre ancestrale d’Évangéline et Gabriel ». L’année suivante un premier voyage organisé en train vit arriver des touristes américains de Boston. Les Acadiens ne participè- rent pas à ces initiatives.
En 1895, parut dans le principal quotidien acadien L’Évangéline un article de la plume de l’historien Henri L. d’Entremont. Ce dernier disait que les Acadiens devaient honorer la mémoire de leurs ancê- tres au nouveau site touristique de Grand-Pré. Cet article de même que des discours politiques et d’autres cris de ralliement ont peu à peu fait de Grand-Pré un endroit d’importance dans la conscience des Acadiens. Un peu plus d’une décennie plus tard, les Acadiens firent les premiers pas pour commémorer physiquement Grand-Pré dans la foulée de la renaissance de leur culture et de leur identité.
La Renaissance acadienne
La Renaissance acadienne a été au cours du XIXe siècle dans les pro- vinces Maritimes du Canada une période de sensibilisation culturelle renouvelée. Elle a eu pour effet d’influencer l’identité des commu- nautés acadiennes ailleurs dans le monde. Si chaque communauté avait ses propres problèmes à surmonter pour conserver son identité, pour les Acadiens revenus en Nouvelle-Écosse après 1764, le défi de revenir à leur terre d’origine et à s’y faire à nouveau une place était énorme. Comme il leur était interdit de retourner à leurs anciennes terres, les Acadiens sont devenus des locataires jusqu’à ce qu’ils puis- sent éventuellement faire l’acquisition de terres.
Tout au long de l’épreuve que constitua leur longue errance, les Acadiens se sont accrochés à leur culture. Celle-ci a survécu en partie parce que les Acadiens étaient relativement exclus de la société domi- nante en partie en raison de leur solide tradition orale. Le folklore se transmettait de génération en génération et au sein de chacune des petites communautés. Suite à la réinstallation de certains Acadiens en Nouvelle-Écosse, les communautés commencèrent à se rebâtir sur les bases de la langue française, de la foi catholique et des liens familiaux. Ces communautés étaient petites et dispersées comme le voulaient les conditions posées à leur réinstallation. Ceci venait compliquer l’établissement d’un esprit de communauté, particulièrement dans le contexte d’une nouvelle structure politico-sociale fort différente. Les solides assises de la culture acadienne permirent à l’élite de bâtir un sentiment d’identité acadienne.
Le récit de l’expulsion forcée des Acadiens avait choqué la société britannique à l’époque, mais ce sentiment n’avait fourni aucune possibilité concrète de rebâtir la société acadienne ou de reconnaître les torts qu’elle avait subis. En fait, ces possibilités de rebâtir ne se sont matérialisées qu’au milieu du XIXe siècle avec la publication du poème de Longfellow, Evangeline, A Tale of Acadie. Bien que fictif, et en raison de son succès, le poème communiquait au monde entier la vraie histoire de la Déportation.
La publication du poème Evangeline a été un événement majeur dans l’émergence de la Renaissance acadienne. D’abord le poème était écrit en anglais, ce qui lui a valu de nombreux lecteurs de la société nord-américaine et britannique. Deuxièmement, il a émergé des cercles de la haute société de la Nouvelle-Angleterre, une région qui avait des liens étroits avec la Nouvelle-Écosse à la fois à cause de l’histoire des Planters de la Nouvelle-Angleterre et aussi parce que bon nombre des déportés acadiens se retrouvèrent en Nouvelle- Angleterre après la Déportation. Cette association mit en place les conditions idéales pour qu’Évangéline soit tout aussi populaire chez les anglophones que chez les Acadiens. Même en tant qu’œuvre de fiction, Evangeline était la première reconnaissance publique des événements ayant entouré l’expulsion forcée des Acadiens près d’un siècle auparavant.
L’histoire d’Évangéline eut tôt fait de trouver une résonance auprès de l’élite religieuse et sociale acadienne qui y vit une occasion de relancer ses propres efforts en vue de bâtir une solide commu- nauté et de revendiquer des droits pour celle-ci. Les personnages du poème et leur histoire incarnaient les valeurs que l’élite acadienne reconnaissait chez son peuple, et celles-ci inspirèrent une période graduelle de prise de pouvoir sur le plan politique, économique et social. Le personnage principal d’Évangéline ainsi que sa dévotion à son amoureux Gabriel, tout au long de sa pénible épreuve, sont devenus le symbole du pouvoir de la foi dans un dessein plus vaste. Cette croyance faisait écho au message de l’Église catholique aux Acadiens et illustrait la persévérance d’un peuple dans l’adversité. Ces caractéristiques et les valeurs du sacrifice, de l’obéissance et de la résignation face aux épreuves de la vie étaient en accord avec les enseignements de l’Église, ce qui rendait le poème Evangeline bien acceptable aux yeux de l’Église. L’Église catholique autorisa donc la lecture du poème, voire son enseignement, dans les écoles comme un moyen de sensibiliser les Acadiens à leur culture, à leur histoire et de leur inculquer un sentiment d’identité. Comme l’élite lettrée acadienne commença à s’imprégner de l’histoire et des émotions entourant la Déportation, elle avait désormais un moyen de com- muniquer cette histoire et une série de symboles capables de sup- pléer à la tradition orale avec laquelle elle avait grandi. Qui plus est, Evangeline fournit un cadre tangible autour duquel pouvait s’articuler la renaissance culturelle des Acadiens. Grand-Pré fut ainsi introduite dans la mémoire collective du peuple acadien. Grand-Pré devint un lieu de référence, au point où, dans le discours politique de l’époque, on utilisait l’expression « les enfants de Grand-Pré » pour désigner les Acadiens. Grand-Pré incarnait la terre d’origine perdue, le symbole de ce vers quoi les Acadiens aspiraient à retourner et la preuve des torts qui leur avaient été causés.
L’acceptation du poème par l’Église catholique et la promotion qu’elle en fit ont été importantes à une époque où l’Église a joué un rôle primordial dans la société acadienne et où elle a fourni les outils de la Renaissance acadienne. L’Église a été un moteur qui a permis de bâtir l’identité nationale acadienne, puisqu’elle a fourni entre autres l’accès à l’éducation, la valorisation de la langue de même que les symboles. En 1854, le premier établissement d’enseignement supé- rieur acadien, le Collège Saint-Thomas, fut fondé à Memramcook, au Nouveau-Brunswick. Dix ans plus tard, en 1864, il devint le Collège Saint-Joseph sous la direction de la Congrégation des Pères de Sainte- Croix. Il obtint le statut de décerner des diplômes et plus tard le statut d’université. Pendant les années 1880, les Acadiens des provin- ces Maritimes ont commencé à tenir des « conventions nationales » comme suite à la participation d’Acadiens à des assemblées politi- ques de Canadiens français s’étant tenues au Québec, et ce, dans le but de défendre les intérêts de la communauté. Il s’agissait d’attein- dre des objectifs culturels en faisant la promotion de l’utilisation du français en éducation ainsi que dans les sphères politique, économi- que et religieuse. L’Église a joué un grand rôle ainsi que l’élite lettrée dans la direction et l’organisation de ces conventions. La première a eu lieu en 1881 au collège Saint-Joseph de Memramcook, là où la majeure partie de la jeune élite acadienne — qui prenait part à ces activités patriotiques — avait reçu son éducation. Les délégués à cette convention créèrent la Société nationale l’Assomption, dont le mandat était de promouvoir et de défendre les intérêts du peuple acadien au Canada atlantique. La deuxième convention eut lieu à Miscouche à l’Île-du-Prince-Édouard en 1884. Lors de cette conven- tion, les Acadiens ont choisi une date pour leur fête nationale (le 15 août), une sainte patronne (Notre-Dame-de-l’Assomption) et un dra- peau (le tricolore français avec une étoile dorée dans un coin) [voir Figure 2–39], un hymne national (l’Ave Maris Stella) et une devise « L’union fait la force ».
La Renaissance acadienne a été au cours du XIXe siècle dans les pro- vinces Maritimes du Canada une période de sensibilisation culturelle renouvelée. Elle a eu pour effet d’influencer l’identité des commu- nautés acadiennes ailleurs dans le monde. Si chaque communauté avait ses propres problèmes à surmonter pour conserver son identité, pour les Acadiens revenus en Nouvelle-Écosse après 1764, le défi de revenir à leur terre d’origine et à s’y faire à nouveau une place était énorme. Comme il leur était interdit de retourner à leurs anciennes terres, les Acadiens sont devenus des locataires jusqu’à ce qu’ils puis- sent éventuellement faire l’acquisition de terres.
Tout au long de l’épreuve que constitua leur longue errance, les Acadiens se sont accrochés à leur culture. Celle-ci a survécu en partie parce que les Acadiens étaient relativement exclus de la société domi- nante en partie en raison de leur solide tradition orale. Le folklore se transmettait de génération en génération et au sein de chacune des petites communautés. Suite à la réinstallation de certains Acadiens en Nouvelle-Écosse, les communautés commencèrent à se rebâtir sur les bases de la langue française, de la foi catholique et des liens familiaux. Ces communautés étaient petites et dispersées comme le voulaient les conditions posées à leur réinstallation. Ceci venait compliquer l’établissement d’un esprit de communauté, particulièrement dans le contexte d’une nouvelle structure politico-sociale fort différente. Les solides assises de la culture acadienne permirent à l’élite de bâtir un sentiment d’identité acadienne.
Le récit de l’expulsion forcée des Acadiens avait choqué la société britannique à l’époque, mais ce sentiment n’avait fourni aucune possibilité concrète de rebâtir la société acadienne ou de reconnaître les torts qu’elle avait subis. En fait, ces possibilités de rebâtir ne se sont matérialisées qu’au milieu du XIXe siècle avec la publication du poème de Longfellow, Evangeline, A Tale of Acadie. Bien que fictif, et en raison de son succès, le poème communiquait au monde entier la vraie histoire de la Déportation.
La publication du poème Evangeline a été un événement majeur dans l’émergence de la Renaissance acadienne. D’abord le poème était écrit en anglais, ce qui lui a valu de nombreux lecteurs de la société nord-américaine et britannique. Deuxièmement, il a émergé des cercles de la haute société de la Nouvelle-Angleterre, une région qui avait des liens étroits avec la Nouvelle-Écosse à la fois à cause de l’histoire des Planters de la Nouvelle-Angleterre et aussi parce que bon nombre des déportés acadiens se retrouvèrent en Nouvelle- Angleterre après la Déportation. Cette association mit en place les conditions idéales pour qu’Évangéline soit tout aussi populaire chez les anglophones que chez les Acadiens. Même en tant qu’œuvre de fiction, Evangeline était la première reconnaissance publique des événements ayant entouré l’expulsion forcée des Acadiens près d’un siècle auparavant.
L’histoire d’Évangéline eut tôt fait de trouver une résonance auprès de l’élite religieuse et sociale acadienne qui y vit une occasion de relancer ses propres efforts en vue de bâtir une solide commu- nauté et de revendiquer des droits pour celle-ci. Les personnages du poème et leur histoire incarnaient les valeurs que l’élite acadienne reconnaissait chez son peuple, et celles-ci inspirèrent une période graduelle de prise de pouvoir sur le plan politique, économique et social. Le personnage principal d’Évangéline ainsi que sa dévotion à son amoureux Gabriel, tout au long de sa pénible épreuve, sont devenus le symbole du pouvoir de la foi dans un dessein plus vaste. Cette croyance faisait écho au message de l’Église catholique aux Acadiens et illustrait la persévérance d’un peuple dans l’adversité. Ces caractéristiques et les valeurs du sacrifice, de l’obéissance et de la résignation face aux épreuves de la vie étaient en accord avec les enseignements de l’Église, ce qui rendait le poème Evangeline bien acceptable aux yeux de l’Église. L’Église catholique autorisa donc la lecture du poème, voire son enseignement, dans les écoles comme un moyen de sensibiliser les Acadiens à leur culture, à leur histoire et de leur inculquer un sentiment d’identité. Comme l’élite lettrée acadienne commença à s’imprégner de l’histoire et des émotions entourant la Déportation, elle avait désormais un moyen de com- muniquer cette histoire et une série de symboles capables de sup- pléer à la tradition orale avec laquelle elle avait grandi. Qui plus est, Evangeline fournit un cadre tangible autour duquel pouvait s’articuler la renaissance culturelle des Acadiens. Grand-Pré fut ainsi introduite dans la mémoire collective du peuple acadien. Grand-Pré devint un lieu de référence, au point où, dans le discours politique de l’époque, on utilisait l’expression « les enfants de Grand-Pré » pour désigner les Acadiens. Grand-Pré incarnait la terre d’origine perdue, le symbole de ce vers quoi les Acadiens aspiraient à retourner et la preuve des torts qui leur avaient été causés.
L’acceptation du poème par l’Église catholique et la promotion qu’elle en fit ont été importantes à une époque où l’Église a joué un rôle primordial dans la société acadienne et où elle a fourni les outils de la Renaissance acadienne. L’Église a été un moteur qui a permis de bâtir l’identité nationale acadienne, puisqu’elle a fourni entre autres l’accès à l’éducation, la valorisation de la langue de même que les symboles. En 1854, le premier établissement d’enseignement supé- rieur acadien, le Collège Saint-Thomas, fut fondé à Memramcook, au Nouveau-Brunswick. Dix ans plus tard, en 1864, il devint le Collège Saint-Joseph sous la direction de la Congrégation des Pères de Sainte- Croix. Il obtint le statut de décerner des diplômes et plus tard le statut d’université. Pendant les années 1880, les Acadiens des provin- ces Maritimes ont commencé à tenir des « conventions nationales » comme suite à la participation d’Acadiens à des assemblées politi- ques de Canadiens français s’étant tenues au Québec, et ce, dans le but de défendre les intérêts de la communauté. Il s’agissait d’attein- dre des objectifs culturels en faisant la promotion de l’utilisation du français en éducation ainsi que dans les sphères politique, économi- que et religieuse. L’Église a joué un grand rôle ainsi que l’élite lettrée dans la direction et l’organisation de ces conventions. La première a eu lieu en 1881 au collège Saint-Joseph de Memramcook, là où la majeure partie de la jeune élite acadienne — qui prenait part à ces activités patriotiques — avait reçu son éducation. Les délégués à cette convention créèrent la Société nationale l’Assomption, dont le mandat était de promouvoir et de défendre les intérêts du peuple acadien au Canada atlantique. La deuxième convention eut lieu à Miscouche à l’Île-du-Prince-Édouard en 1884. Lors de cette conven- tion, les Acadiens ont choisi une date pour leur fête nationale (le 15 août), une sainte patronne (Notre-Dame-de-l’Assomption) et un dra- peau (le tricolore français avec une étoile dorée dans un coin) [voir Figure 2–39], un hymne national (l’Ave Maris Stella) et une devise « L’union fait la force ».
À la fin de cette décennie, les Acadiens avaient trois journaux hebdomadaires en français, dont le plus ancien, le Moniteur Acadien qui fut fondé en 1867 à Shediac, au Nouveau-Brunswick, et des mem- bres de l’élite acadienne commençaient à être élus aux plus hauts offices de la province, voire du pays. Au début du XXe siècle, le folk- lore acadien avait acquis un certain statut ainsi que ces symboles pour implanter les assises de l’identité acadienne. Toutes ces mani- festations de prise de pouvoir social devinrent sources de fierté et de conscience collective.
La Renaissance acadienne fut une période de transformation sociopolitique de la communauté acadienne du Canada à la fin du XIXe siècle. Par divers événements collectifs, les Acadiens ont acquis un sentiment d’unité en dépit de l’intention première des Britanniques de les garder isolés les uns par rapport aux autres. Dans la foulée de la vague de nationalisme qui a balayé l’Europe et l’Améri- que du Nord au XIXe siècle, les Acadiens ont choisi de réaffirmer leur présence dans l’Est du Canada par des gestes qui leur ont donné les outils d’une prise de pouvoir politique, économique et culturel. Ils ont franchi une étape importante en choisissant les symboles de leur identité comme le drapeau, la sainte patronne, l’hymne national et surtout ils ont choisi de raconter une histoire nationale. L’ensemble des communautés de la diaspora acadienne s’est rallié à ces symboles ou du moins à une partie d’entre eux. Grand-Pré en vint à devenir le lieu d’ancrage de cette identité, de ces symboles et de la mémoire collective. Hymne Acadien
Ave Maris Stella Dei Mater Alma Atque Semper Virgo Felix Coeli Porta Felix Coeli Porta Acadie ma patrie À ton nom je me lie Ma vie, ma foi sont à toi Tu me protégeras Tu me protégeras Acadie ma patrie Ma terre et mon défi De près, de loin tu me tiens Mon cœur est acadien Mon cœur est acadien Acadie ma patrie Ton histoire je la vis La fierté je te la dois En l’Avenir je crois En l’Avenir je crois Ave Maris Stella Dei Mater Alma Atque Semper Virgo Felix Coeli Porta Felix Coeli Porta |